- Alexandra Liri
- 29 mars 2010
- entretien, essai documentaire, exposition, festival, label, Lowave
SensoProjekt : Lowave est un label de film indépendant dont les activités se situent sur plusieurs niveaux, la distribution, la production et la programmation de films d’artistes et de documentaires. Parmi ces trois activités, quelle est celle qui a réellement motivé la création de Lowave ?
Silke Schmickl : À l’origine Lowave était une maison d’édition que Marc Horchler et moi-même avons fondée en 2002 sur le modèle d’un label de disque. Nous voulions créer un label, éditer et distribuer des vidéos d’artistes et des films expérimentaux sous forme de DVDs thématiques et monographiques ainsi que des documentaires de création afin de les rendre accessibles à un public plus large que celui des festivals et des galeries d’art contemporains. Dès le début les trois activités que vous nommez se sont révélées inséparables : la recherche de films et leur programmation était essentielle pour la constitution de nos programmes polyphoniques consacrés à une région (Re:Frame, Resistance(s), Conditioned), un genre (Metronomic, Blacklight) ou un festival (Hors Pistes, Cinéma Différent). La distribution s’est imposée tout naturellement par la suite puisqu’il n’existait pas de distributeur spécialisé dans les films d’artistes et de l’art contemporain pour le DVD. Dès le début, cette distribution s’est accompagnée de projections organisées en partenariat avec des festivals, des cinémathèques, des musées d’art contemporain, ainsi que des lieux plus alternatifs. Ces collaborations nous ont permis de mieux faire connaître nos programmes et leurs auteurs, de rencontrer notre public et d’exercer le métier de curateur à une échelle internationale. À ces activités s’est rajoutée plus tardivement, en 2007, la production de films qui nous permet aujourd’hui d’accompagner les artistes dans leur processus de création, de l’étape d’écriture du projet jusqu’à l’édition et la distribution de leur œuvre. Depuis la création de Lowave, nous produisons des entretiens d’artistes, en particulier les « extras » pour nos DVDs, mais cette activité a pris une tournure plus sérieuse récemment. Actuellement, nous avons 5 films en production, Nos vies extimes de Tom Hanson, L’arrangement d’Hélène Agofroy, Conversation avec ma mère de Taysir Batniji, Coulée douce d’Ismaïl Bahri et Nuits blanches de Pauline M’Barek. Par rapport au fonctionnement classique de l’industrie du DVD, nous avons adopté une démarche complètement inverse. Au lieu de commencer par la production pour ensuite éditer et distribuer, Lovawe a trouvé sa place par le canal de l’édition. Cela correspondait sans doute à l’esprit de l’époque quand la démocratisation et l’accessibilité des moyens bouleversaient le secteur avec notamment la création de structures marginales qui inventaient leur propre fonctionnement.
SP : Lowave a produit quelques documentaires sur l’art. Quels sont en général les critères choisis pour ce type de film ? Autrement dit, qu’est ce que ce type de film doit selon vous transmettre au spectateur ?
SS : Il y a tout d’abord la découverte d’un artiste dont le travail nous passionne, dont nous nous sentons proche et avec lequel nous sommes dans un rapport de confiance. Nous avons l’habitude de filmer de plus près l’activité des artistes au travail, leurs joies, leurs doutes, les obstacles à surmonter. Il est donc essentiel qu’il y ait une bonne entente entre le réalisateur, le producteur et l’artiste afin de créer une intimité propre à recueillir des informations rares et des images précieuses. Pour chaque film, nous recherchons la forme la plus appropriée au projet. Pour ce qui est de la collection « artists at work » imaginée en collaboration avec Antoine De Roux, nous avons suivis plusieurs artistes (Felice Varini, Laurent Pariente) lors de la réalisation d’une œuvre. Une grande importance est donnée au choix de l’œuvre dont la réalisation est suivie par le réalisateur, de la conception jusqu’au montage d’exposition. Ce principe est perceptible dans notre film sur Malachi Farrell, La fabrication de « La Gégène », co-produit avec le musée du MAC/VAL en 2007/2008. Ces films montrent que la conception d’une œuvre ne se développe pas, comme on le croit souvent, sous les auspices d’une inspiration géniale. La vision romantique de l’artiste a fait place à la réalité laborieuse des créateurs actuels qui, souvent confrontés à divers problèmes d’ordre matériel, logistique, financier et même de crédibilité, travaillent comme beaucoup de gens. En outre, dans tous ces films, c’est uniquement la parole de l’artiste et ses actions qui permettent aux spectateurs de rentrer dans l’œuvre, de la comprendre et de l’apprécier. Ce regard simple et concentré sur une œuvre en devenir donne de l’artiste au travail, et de l’art en général, une lecture inédite, tout à la fois intuitive et théorique.
SP : Pour les documentaires sur l’art, vous avez travaillé en co-production avec des musées. Quels sont les termes de ce genre de partenariat ?
SS : Pour le documentaire Malachi Farrell à l’oeuvre. La fabrication de « La Gégène » nous avons travaillé avec le musée du MAC/VAL qui est le co-producteur du film. Le cadre de travail ressemblait à un film de commande mais au niveau des droits ce n’était pas exactement la même situation. Le projet de faire un film sur la création de « La Gégène », installation mixed-média complexe de Malachi Farrell pour le musée, nous a été proposée par Antonie Bergmeier, chargée de production audiovisuelle au musée. Le sujet nous a tout de suite séduit s’intégrant parfaitement dans notre catalogue. Nous avons donc proposé le réalisateur qui a suivi toute la fabrication à l’atelier de l’artiste pendant plusieurs semaines et ensuite l’installation au musée. Tandis que Lowave gérait essentiellement la production exécutive du film, le musée assurait le cadre financier et juridique tout en suivant de près l’avancement du projet. Le film a pu se faire en toute liberté ce qui n’est pas toujours le cas lors d’une co-production de ce type. La production du film sur Laurent Pariente, Sans titres, 2008 au MUDAM Luxembourg s’est déroulée selon le même mode de fonctionnement. Les avantages d’une production avec un musée sont nombreux puisque tous les partenaires s’y retrouvent : l’institution et l’artiste disposent avec le film d’un document audiovisuel extraordinaire sur la production d’une œuvre engagée, et le producteur s’inscrit avec le film dans un circuit institutionnel qui est intéressant en termes de communication et de diffusion.
SP : Quelles sont finalement les perspectives envisagées pour ce qui concerne la partie documentaire de Lowave ? ss
SS : Nous souhaitons continuer notre collection sur les artistes contemporains. Un de nos films en production, Nos vies extimes de Tom Hanson aboutira à un essai documentaire sur l’exposition de l’intime dans l’art contemporain. Ce film se construit à travers de nombreux entretiens que Tom Hanson réalise avec des artistes de différents genres. Et pour fin 2010, début 2011 nous avons prévu la production d’un prochain portrait d’artiste sur Ida Appelbroog en collaboration avec les galeries Nathalie Parienté et Hauser&Wirth, mais ce projet est pour l’instant encore au stade de développement.