Interview d’Isabelle Vorle, auteure, réalisatrice et monteuse du film « Schwitttrace »
SensoProjekt : « Schwitttrace », avec 3 T et sans S (le S apparaît, il me semble, pour la version courte) est le titre de votre film. Pourriez-vous nous présenter le sujet du film à travers une courte explication de ce titre ? Isabelle Vorle : Le titre évoque la trace de Kurt Schwitters, que j’ai suivie de Hanovre à Elterwater via la Norvège et l’île de Man. J’y cherchais les restes des Merzbauten et ma parenté artistique à cet artiste. La version plus courte de 5 minutes de ce film est en effet Schwitttraces. Les 3 T sont un clin d’œil à cet artiste qui a fréquemment travaillé sur les lettres en tant qu’élément.
SP : Le film s’ouvre sur un texte posant quelques repères relatifs à l’œuvre de l’artiste pour finir sur les raisons du réalisateur de faire ce film. Ce commencement place le spectateur face à un documentaire « classique », d’autant qu’il est d’emblée invité à partir « sur les traces de… » en parcourant Hanovre de nuit dans un tramway. Puis, très vite, les images deviennent plus « personnelles » pour laisser une expression de plus en plus poétique. Schwitttrace documente—t-il alors à la façon d’un documentaire ? IV : Ma fascination pour Schwitters est liée non seulement à la qualité et la modernité de ses œuvres, mais aussi à la pluralité de ses pratiques, que je partage. J’ai fait ce film-voyage par affinité avec lui, et lorsque je me trouvais devant un nuage dont la forme rappelait un de mes tableaux, je décidais de l’inclure au projet. C’est aussi un film de rencontres (avec des personnes, avec des paysages, avec des émotions).
Je crois que Schwitttrace utilise des documents mais ne documente pas, dans le sens où un chercheur ne pourrait pas l’utiliser pour travailler sur Schwitters (même si certains lieux étaient filmés pour la première fois).
SP : Un des fils narratifs du film est simplement chronologique. On perçoit entrelacés d’autres récits, n’est-ce pas ? IV : Le montage suit de grands mouvements chronologiques, mais je le pense comme non narratif, la raison d’être d’un plan par rapport à un autre est parfois rythmique, parfois chromatique, parfois il suit une logique de sens. Entrelacement est un mot adéquat pour qualifier ce montage !
SP : Les séries d’images abstraites et de collages nous renvoient à votre travail de peintre. Comment mêlez-vous les deux expressions, démarche picturale et travail de l’image animée ? IV : Lorsque je filme, je compose en peintre, et lorsque je monte un film, je règle avec la même précision les rapports chromatiques, lumineux d’un plan à l’autre (ou l’interpénétration des images composant les fondus). Je suis généralement concentrée temporellement sur une chose à la fois, j’ai des périodes « peinture », des périodes « film », et aussi, des périodes autres (mise en scène d’opéra, dessin, installation sonore, sculpture, …). Ces pratiques se nourrissent les unes, les autres, elles sont le fruit d’énergies différentes, toutes me sont nécessaires.
SP : Vous interprétez vous-même l’Ursonate, bande sonore présente pendant toute la durée du film. C’est une façon de « faire entendre votre voix », comprendre la résonance de cette œuvre sur votre propre sensibilité et en restituer une nouvelle représentation. Cette mise en abîme de l’œuvre de Schwitters est-elle ici le moyen de faire éclore de nouvelles formes, d’inventer une expression ? IV : A vrai dire, c’est mon interprétation de l’Ursonate qui a déclenché le projet de film. J’ai commencé cela en 1991, et l’ai présentée en différentes occasions. Pour ce film, elle est une sorte de base rythmique sur laquelle j’ai construit tout le projet. Jean-Pierre Bobillot, poète a écrit un beau texte sur cet aspect du film dans la revue action poétique.
SP : L’œuvre de Schwitters est-elle particulièrement propice à ce type de « développement », et pourquoi ? IV : Comment dire ? Je n’aurais jamais fait le même genre de film sur les traces d’un autre artiste, mais je pense qu’un autre réalisateur n’aurait jamais fait un Schwitttrace non plus. Je suis depuis 3 ans sur un projet autour d’une œuvre de Leos Janacek Le journal d’un disparu, et il est tellement différent à tout points de vue ; un des rares rapprochements possibles est du côté d’une préexistence du rythme par la bande sonore, sans doute aussi l’écriture « plasticienne » incluant des images abstraites et considérant chaque photogramme comme un tableau potentiel.