- Isabelle de Visscher-Lemaître
- 5 mai 2011
- Lady Jay, Marie Losier
Titre : The Ballad of Genesis & Lady Jay
Réal. : Marie Losier
Prod. : Marie Losier, Steve Holmgren, 72’, USA/France, 2011
Titre : The Ballad of Genesis & Lady Jay
Réal. : Marie Losier
Prod. : Marie Losier, Steve Holmgren, 72’, USA/France, 2011
Ecrivain, performer, musicien, l’artiste britannique Genesis Breyer P-Orridge (1950-) est une figure singulière du mouvement punk rock underground. COUM Transmissions, son premier groupe fondé à la fin des années 60 puis renommé dix ans plus tard Throbbling Gristle (et considéré comme précurseur de la musique industrielle), donne d’emblée le ton de sa démarche, soit le croisement systématique de la musique électronique et de la performance artistique. Avec Psychic TV et plus récemment Thee Majesty, ses recherches musicales connaissent un certain succès public. En matière littéraire, proche de l’artiste Beat Generation Brion Gysin, Genesis forge son style (et sa diffusion sur scène) sur la technique du cut-up et des «poèmes permutés», une production qu’il continue encore aujourd’hui à mettre en scène avec des poètes performer tels que Tony Conrad.
Depuis sa rencontre en 2000 avec Lady Jay, sa compagne et collaboratrice sur Psychic TV, Genesis ouvre son art à une dimension biologique dans le cadre d’unprojet intitulé «Create the pandrogyne». «L’idée n’est pas d’être jumeaux, mais d’être deux parties d’un nouvel être, un être pandrogyne qui s’appellerait Genesis Breyer P-Orridge.» Voici comment l’artiste performer Genesis P-Orridge définit cette expérimentation corporelle. Avant tout un acte d’amour, la pandrogynie soude dans son processus la fusion du couple au sein d’une seule entité. C’est de ce phénomène transgenre que vient rendre compte le film de Marie Losier.
Isabelle de Visscher-Lemaître : Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Marie Losier : C’est dans un concert, il y a sept ans (en 2004) à New York, que j’ai entendu pour la première fois la voix de Genesis. Après deux premières parties assez médiocres, la performance de Genesis qui concluait la soirée fut une formidable surprise. La musique, la poésie des textes, la voix, tout dans cette performance me bouleversait. Je me sentais vivre un moment essentiel. Dès le lendemain, le hasard (un miracle comme seul NYC sait en produire !) nous a réuni dans une petite galerie de Soho lors d’un vernissage. J’échangeai avec lui quelques propos sur mon travail, mes réalisations de films expérimentaux, mon activité de films à l’Alliance Française à NY. Et le lendemain, Genesis m’invita chez lui et sa compagne Lady Jay. À l’issue de cette rencontre, cette dernière m’a dit de but en blanc que j’étais la personne qu’ils cherchaient pour filmer leur histoire.
IDVL : Qu’est ce qui leur plaisait chez vous et qu’entendaient-ils par «filmer leur histoire» ?
ML : Ma façon de travailler leur plaisait. Je filme toujours en 16 mm et sans son synchrone. Avec des bobines de trois minutes, je n’ai pas vraiment droit à l’erreur, d’où ces captations directes, spontanées et sans trop de repentirs. Il s’est avéré très vite que «filmer leur histoire», ça voulait dire filmer une histoire d’amour. En tout cas aujourd’hui, c’est devenu le fils conducteur du film qui a pris ce travers intimiste (et c’est ce que les deux protagonistes voulaient) grâce à nos liens d’amitiés. Pendant sept ans, j’ai interviewé les proches, compulsé les archives, suivi le groupe en tournée. Au final, je me suis retrouvée avec une abondance d’images tout à fait infernale. Mais comme je décidai tout à coup, de façon assez radicale, de ne pas me servir des témoignages enregistrés, la sélection des images se simplifia. Je voulais en effet, à tout prix, éviter le documentaire biographique.
IDVL : La vision du documentaire convoque à une lecture à différents niveaux : celui de la culture rock underground des 30 dernières années, celui du projet de «pandrogynie» qui fut le leur et celui de l’histoire d’amour pure et simple. Qu’est-ce que ce film cherche alors à véhiculer ?
ML : Je dirais que c’est un tout qui passe par la relation amoureuse. La performance, l’écriture, la musique : tout est partie liée avec ce projet de «pandrogynie», à savoir la création d’un être qui ne connaît pas la barrière des genres (masculin/féminin). C’est donc une histoire qui doit traverser tous les âges et s’adresser à tous les publics, d’où un important travail d’ajustement sur le plan technique. Je ne voulais pas que ce film reste cantonné au champ du cinéma expérimental. Pour le montage, j’ai procédé par assemblage d’images amateurs, d’images d’archives et de mises en scène surréalistes. Le tout a été ensuite transféré en HD et le son travaillé séparément. Cette volonté de décaler très souvent les deux sources image/son participe d’une vision personnelle du film. En ce sens, The ballad ne diffère pas tellement de mes autres films.
IDVL : A propos de votre filmographie, plusieurs films sur des artistes y figurent.
ML : Mon premier portrait d’artiste filmé concerne Richard Forman, dramaturge et metteur en scène américain. Dans ce film, j’ai aussi effectué un important travail de collage des images et du son. J’ai même poussé assez loin cette recherche puisque chaque cadrage était fait selon un son. Ensuite, j’ai réalisé un film sur le réalisateur Guy Maddin, sur les cinéastes George et Mik Kuchar. Plus récemment, j’ai filmé le réalisateur et compositeur Tony Conrad (le film sort très prochainement). Mais là, il s’agit davantage de filmer des performances dans le sens où je capte des séances de lectures données sur scène ou dans des lieux privés.