- Alexandra Liri
- 3 juin 2013
- Barbro Schultz-Lundestam, Wilfredo Lam
Interview de Barbro Schultz-Lundestam
SensoProjekt : D’où part l’idée de faire un film sur Wifredo Lam ?
Barbro Schultz-Ludenstam : Ce film est en fait la continuité d’une commande qui m’avait été passée par la famille de Wifredo Lam. Il m’ont demandé de faire un court film sur les œuvres gravées de Wifredo Lam, ainsi que sur de nouvelles impressions issues de plaques gravées retrouvées trente ans plus tard par le maître graveur Giorgio Upiglio, dans son l’atelier Grafica Uno à Milan. Par la suite, en 2003-2004, la famille de Wifredo Lam séduite par le film m’a demandé de réaliser un moyen métrage.
SP : Pourquoi avoir choisi le thème de la poésie et donc de la gravure chez Lam, illustrations des textes poétiques ?
B.S.L. : Comme on le sait, Wifredo avait une relation très privilégiée avec les poètes et les écrivains. Sa rencontre avec Upiglio au début des années soixante, inaugurait une période d’intense créativité. W. Lam a réalisé à cette époque plusieurs portfolios de grands formats en collaboration avec par exemple Gherasim Luca, René Char, Aimé Césaire et Antonin Artaud. Ce sont ces liens d’amitiés que j’ai trouvé dans les archives très fécondes en photographies et en film aussi ; des films que Wifredo tournait lui-même lors de ses voyages et qu’il gardait comme documentation personnelle. Mais le témoignage vivant reste important aujourd’hui puisque j’ai pu interviewer des poètes tels qu’Alain Jouffroy et Jean-Dominique Rey.
SP : D’ailleurs, il y a beaucoup d’intervenants dans ce documentaire qui compte des entretiens de critiques d’art et d’artistes français et étrangers. Comment s’est opéré le choix de ces témoignages ?
B.S.L. : Chaque intervenant offrait selon moi une vision singulière de l’œuvre de W. Lam, des points de vue en outre très complémentaires. Evidemment les poètes qui avaient collaboré avec lui en dessinaient un portrait plus intime. La conservatrice du Musée de gravures de Gravelines découvrait juste le travail de W. Lam qu’elle devait exposer dans les mois qui suivaient le tournage. Cette fraîcheur de regard nourri d’un nouvel enthousiasme complétait bien les propos de Catherine David, historienne de l’art dont la thèse portait sur l’œuvre de Lam. Le point de vue de l’historienne de l’art Lowery Stokes Sims, la directrice du Studio Museum in Harlem, apportait une vision outre atlantique et le présentait comme un peintre africain. Enfin, j’ai eu l’idée d’interviewer le poète et critique d’art américano-chinois John Yau, dont l’article paru dans Art Magazine 1988, sur la comparaison Lam/Picasso m’avait impressionné. Avec lui, on abordait d’une façon éminemment subtile la problématique des sources ethnique dans le travail de W. Lam à l’époque surréaliste. Avec sa culture chinoise, John Yau livrait un regard inédit ni américain, ni européen.
SP : En voix off, vous faites parler l’artiste quand il s’agit de raconter des épisodes de sa vie. De qui sont ces textes, de Lam lui-même ou bien écrits pour la circonstance ?
B.S.L. : Ce sont effectivement des textes de W. Lam. Ils sont assez méconnus et proviennent d’un grand livre publié par Zervos, où alternent les photographies, des textes de Lam et d’autres artistes et intellectuels ainsi que des dessins et photos. J’aimais beaucoup de le sens poétique de ces textes aussi je n’ai pas hésité à les exploiter dans le film, d’autant qu’il existe très peu d’interviews filmé de l’artiste. Je n’avais donc pas de témoignage par sa voix. Je sais qu’il existe un court film de la télévision italienne où il parle mais je n’ai pas réussi à trouver les ayants droits pour utiliser cette archive. Le film est d’autre part de très mauvaise qualité pour être correctement diffusé.
SP : Ce film, même s’il se concentre sur la relation de Lam avec les poètes, balaie largement la carrière et la vie de l’artiste. Pourquoi avoir choisi cette dimension biographique pour présenter une particularité de son œuvre ?
B.S.L. : Lorsque j’ai commencé les recherches sur l’artiste, le catalogue raisonné de son œuvre en était à ses balbutiements. Il restait un artiste assez méconnu et parler de sa vie me paraissait incontournable pour faire comprendre cette place prépondérante du poète dans l’œuvre et la vie de Lam. Si le film était à refaire, je chercherais sûrement des angles plus larges et m’écarterais du déroulement chronologique. La première partie du film est sûrement trop axée sur l’aspect biographique. Le commentaire de l’œuvre n’intervient qu’à partir de la présentation du tableau La Jungle. Je crois que je voudrais aujourd’hui renverser cette logique et ouvrir de plus larges phases d’analyse.
Paris, le 1er mai 2013
Film : 54’, sevendoc production, Collection « Phares », 2011