- Isabelle de Visscher-Lemaître
- 1 février 2016
- Jan Fabre, Pierre Coulibeuf
Fiction expérimentale de Pierre Coulibeuf
basée sur les performances et le Journal de nuit de Jan Fabre
Portrait fictif de l’artiste flamand Jan Fabre. Le film, conte de fées moderne, projette Jan Fabre dans son propre imaginaire et compose un personnage qui change sans cesse d’identité. Jan Fabre joue de multiples rôles sous les déguisements les plus variés ; derrière un masque, toujours un autre masque … Le personnage féminin, tel un « démon du passage » empruntant différents visages, hante le personnage masculin et inspire ses métamorphoses, ad infinitum. Les concepts de l’œuvre sont la répétition, le simulacre et la métamorphose, dans un rapport essentiel aussi bien avec l’œuvre de Fabre qu’avec la mienne. La métamorphose, c’est ici le passage d’une forme à une autre, d’un état intensif à un autre, d’une identité à une autre, d’un univers à un autre : le film comme « transposition » – la forme « performance » se change en forme cinématographique –, le film comme création nouvelle.
Doctor Fabre Will Cure You ne donne pas une copie des performances de Jan Fabre, il propose plutôt une approche imaginaire, mentale, c’est-à-dire une réinterprétation des performances devenues ici « actions » au sens du cinéma. Dans le film, la performance et l’artiste Jan Fabre changent de statut : la performance est jouée par l’ « acteur » Fabre, elle n’existe plus sous forme de traces, de signes obscurs, de bribes de souvenirs, qui habitent Fabre devenu personnage multiple dans un récit filmique original. « L’existence simule, elle dissimule, et elle dissimule que, même dissimulant et jouant un rôle, elle continue d’être l’existence authentique, liant ainsi, par une malice presque indémêlable, le simulacre à la véritable authenticité. » (Maurice Blanchot). (PC).
Notes au sujet du film:
Le titre du film Doctor Fabre Will Cure You (Docteur Fabre va vous guérir) se réfère à une performance de Jan Fabre au début des années 1980 où il présente la beauté comme ayant un pouvoir placébo sur la société. Toujours intuitif, instinctif et expérimentateur, ce personnage intéresse Pierre Coulibeuf depuis longtemps. En 2002, celui-ci est l’auteur du film Les Guerriers de la beauté qui s’élabore à partir de l’œuvre théâtrale de Jan Fabre. Ici, Coulibeuf mêle avec brio les apparences quasi fantomatiques et le caractère mythologique du personnage, à une vérité peut-être encore plus exacte que la justesse de façade qu’on pourrait espérer tirer d’un portrait filmé. Car l’existence même noue avec cette double combinaison – du simulacre et de l’authentique. A faire rejouer Jan Fabre d’anciennes performances, Coulibeuf sait qu’il va en émerger une énième, celle du film. C’est pourquoi l’on n’a pas affaire ici à un documentaire, mais à une magnifique frise cinématographique tissant une figure à la charnière de différents mondes. Et ce, sur toile de fond associant le Surréalisme aux Primitifs flamands, dans le décor de la ville natale et hautement symbolique de Fabre, qu’est Anvers.