- Patrick Javault
- 12 septembre 2018
Revue critique de la publication La critique d’art à l’écran, Les arts plastiques, sous la dir. de Sylvain Dreyer et Dominique Vaugeois, coll. Arts du spectacle, Images et sons, Septentrion, 2018.
A supposer qu’il existe bien une critique d’art à l’écran, c’est à dire, si l’on comprend bien, une manière spécifique d’offrir une lecture, une appréciation et un jugement par le biais des moyens propres au cinéma, il faudrait pour nous en convaincre s’intéresser ne serait-ce qu’un peu à la critique d’art écrite et faire un choix de films qui appuie ce propos. L’étude des échanges entre cinéma et peinture ou celle de la présence du cinéma au musée ont produit une littérature plus qu’abondante depuis une bonne vingtaine d’années et sont devenues déjà une sorte de poncif des études sur l’art et les questions de transversalité. Ce qui frappe en premier lieu à la lecture des différentes contributions, c’est leur déconnexion de l’actualité de l’art comme de celle du cinéma, et davantage encore de l’actualité du film sur l’art, que celui-ci soit critique ou non. Retrouver ici des commentaires sur Le Mystère Picasso ou sur les films que Namuth a consacrés à Pollock ne témoigne pas d’une grande largeur de vue. Ces documents auront bien servi l’image que la croyance populaire se fait du génie artistique virtuose ou possédé. Consacrer des présentations au Munch de Watkins, à La Ricotta de Pasolini, ou Une Visite au Louvre de Straub et Huillet, sur lesquels il a déjà été beaucoup écrit, amènent à se demander à qui ces communications sont adressées. D’autant que les lectures proposées sont plutôt originales.
Edward Munch, La Danse de la Vie, produit par la télévision norvégienne et refusé par elle pour non conformité avec ses objectifs, est présenté sous l’angle d’une rivalité cinéma-peinture en s’appuyant sur une grille d’équivalences que l’on pourrait dire hallucinée. Pour ne donner qu’un exemple, la frontalité et le regard caméra donnés comme transposition de la peinture de Munch, quand il est clair que Watkins emprunte clairement aux codes de l’enquête télévisée. Dans La Ricotta, Pasolini pasticherait La Déposition de Pontormo, sans que l’on puisse comprendre comment le pastiche d’un tableau peut se faire autrement qu’en peinture, même si on se dit qu’un certain hommage de Bill Viola à Pontormo approche peut-être de cette notion. Enfin La Visite au Louvre, commentée par deux des intervenants, l’un ayant compris qu’il s’agissait avant tout de faire entendre la parole (supposée) de Cézanne, l’autre s’étant on ne sait comment convaincu que le fait de filmer les tableaux du Louvre en laissant apparaître un peu du mur blanc sur lesquels ils sont accrochés était une manière de point de vue critique sur le musée. Les Straub sont un peu rigides, c’est entendu, mais ils ne sont pas bêtes et s’ils ont si bien bridé leurs chefs-opérateurs en cette occasion, c’est que pour eux il n’y a pas deux façons de filmer un tableau.
Ces films là nous font penser que, comme souvent, le grand absent est Godard dont, au lieu de citer à chaque fois la visite au Louvre de Bande à Part, on pourrait rappeler les tableaux vivants de Passion (dont L’Entrée des Croisés à Constantinople, dont nous parle Cézanne), mais aussi parce qu’il est le plus peintre des grands cinéastes, notamment à travers son travail sur l’image numérique. Enfin, si Godard ne regarde pas l’art contemporain (The Old Place, le film commandité par le MoMA, dit assez le mépris dans lequel il le tient), les artistes contemporains ont regardé Godard, non seulement dans leur façon de pratiquer l’essai cinématographique, mais aussi parce que les tentatives de démontage et d’éclatement du « format exposition » dont parlent Huyghe et Parreno (sujet de l’une des interventions) doivent quelque chose au maître de Rolle.
Afin de ne pas être exagérément sévère, je me retiens de dire ce que je pense du fait de donner autant d’importance (commentaire plus cahier d’images en couleurs) au biopic qu’Eddie Harris a consacré à Pollock. A l’heure où l’entretien filmé avec l’artiste et le reportage autour de son exposition tendent à devenir des outils pédagogiques courants au musée, où l’on trouve dans les boutiques desdits musées un nombre conséquents de DVD monographiques consacrés à des artistes, et où certains portraits d’artistes bénéficient d’une sortie en salle (Il y a bien une intervention de l’auteure d’un film sur Michel Parmentier au travail, mais comme un témoignage des intentions de l’artiste), il n’est pas exagéré de dire que ce livre passe à côté de ce qu’il annonce et plus généralement des enjeux du contemporain.
Auteurs contributeurs à la publication: Lambert Barthélémy, Auriane Bel, Bernard Bloch, Pascale Borrel, Marie-Laure Delaporte, Sylvain Dreyer, Caroline Finez, Agnès Foiret, Fabien Gris, Vanessa Loubet-Poëtte, Sarah Pialeprat, Emmanuel Plasseraud, Pascale Raynaud, Fatima Seddaoui, Cécile Sorin, Eric Thouvenel, Dominique Vaugeois, Isabelle de Visscher-Lemaître et Bernard Vouilloux