The End of Fear, réalisé par Barbara Visser, produit par De Familie Film & TV, Amsterdam. Images de Niels van Koevorden, montage de Xander Nijsten, composition musicale de Juho Normela. Sous-titrage français : SensoProjekt. 70 min., N&B et couleur, Pays-Bas, 2018.
Barbara Visser visite le Stedelijk Museum d’Amsterdam avec l’école en 1975. En arrivant devant l’écrasante toile de Barnett Newman – 245*544 cm peinte en rouge cadmium, avec un liseré bleu et un liséré jaune de chaque côté- « Who’s Afraid of Red, Yellow, and Blue III» (1967), la fillette de neuf ans ressent un choc si profond qu’elle sort du musée en courant, « très fâchée », se souvient-elle.
Pour Gerard Jan Van Blanderen, peintre au chômage, l’émoi se métamorphose, onze ans après, en rage. Il prend son cutter et lacère l’œuvre de Newman, y creusant cinq profondes entailles. La profession hurle à l’assassinat, au crime. Comment va-t-on pouvoir retrouver ce rouge diabolique, impitoyable ? Après des années de tentatives infructueuses, le restaurateur new-yorkais Daniel Goldreyer finit par passer au rouleau toute la surface au vermillon industriel, faisant perdre à la toile sa surface originelle et, partant, son magnétisme, son pouvoir d’intimidation, sa dimension spirituelle. Goldreyer, attaqué par la Mairie d’Amsterdam, gagne pourtant son procès. L’œuvre entre dans la légende.
Devenue adulte, Barbara Visser fait passer en 2017 une annonce dans la presse : « cinéaste cherche artiste pour réaliser une grande peinture de commande, …, la mission est de s’approcher le plus possible de l’œuvre originale sur la base de descriptions ». Renske van Enckevort, une frêle jeune peintre à tête de biche, relève le défi. Elle restera deux mois et demi dans l’atelier à lutter contre sa toile, à chercher « le rouge » ou « les rouges », la texture, l‘insaisissabilité de l’œuvre de Newman. De son côté, Barbara Visser multiplie les contacts avec des conservateurs, des critiques, des avocats, avec l’attaquant lui-même, elle rentre en dialogue avec les archives de l’époque, montre les documents du procès, les bons d’assurance du tableau, les émissions TV. En filigrane, toujours, la voix ou l’image de Newman avec son éternel nœud papillon, et l’imposante échelle de « Who’s Afraid of Red, Yellow, and Blue III» magnifiée par les orgues de Bach et de Pachelbel.Par une mise en abîme constante du film et de son tournage, la réalisatrice retrace cinquante ans d’évolution des rapports entre le public et l’abstraction, reflets des tensions sociales, xénophobes, raciales, et pas uniquement esthétiques. Newman, pour qui « l’esthétique est au peintre ce que l’ornithologie est à l’oiseau », défendait un art qui confronte chacun de nous à sa propre totalité. Aux risques et périls de l’œuvre.
Barbara Visser
Le débat sera animé par Alyssa Verbizh, réalisatrice, présidente de SensoProjekt, et Stéphanie Elarbi, cheffe du service de la restauration au Centre Pompidou, en charge de la préservation des collections du Musée National d’Art Moderne. Conservatrice-restauratrice d’art contemporain et d’objet ethnographiques, elle fut précédemment chargée de la restauration au musée du quai Branly – Jacques Chirac et enseigne dans les différents cursus de la discipline.