- Alexandra Liri
- 30 mai 2012
- Cécile Bart
Titre : Les sept saisons. Cécile Bart
Réal. : Nathalie David / 25’/ 2001
Titre : Les sept saisons. Cécile Bart
Réal. : Nathalie David / 25’/ 2001
Entretien avec Nathalie David
SensoProjekt : Pourquoi avez-vous choisi de filmer l’artiste Cécile Bart ?
Nathalie David : En général, ce sont les artistes ou les musées qui me commandent un film. Dans le cas du film « Les sept saisons », c’est donc Cécile Bart elle-même qui m’a sollicitée. Je connais bien son travail puisque je l’ai assistée il y a quelques années lors de sa résidence à la Villa Arson. Je suis très sensible à sa démarche et j’apprécie beaucoup Cécile humainement. Deux bonnes raisons d’accepter la commande !
SP : « Les sept saisons », ce titre est révélateur d’une année chargée en actualité pour l’artiste. Aviez-vous déjà pensé à ce découpage avant le tournage ou bien l’idée est-elle venue au fil des mois ?
ND : Oui, je savais que c’était une année bien remplie pour Cécile, en événements mais aussi en production. Et cela m’offrait la possibilité de filmer la démarche et l’oeuvre sous différents angles. En cela, je me suis souvenue des variations Goldberg de Bach, le même thème élaboré de différentes manières. La chronologie du film est fixée sur les dates d’exposition. Entre chaque exposition, je montais les images de la précédente, de sorte que les séquences étaient indépendantes les unes des autres avec pour seul lien l’année où elles ont été filmées. Ce n’est pas la première fois que j’approchais le travail de Cécile. Un an auparavant, j’avais réalisé un montage-son conçu comme un théâtre sonore et présenté dans le cadre du festival de musique acoustique à Bourges. Pour moi, le son est plus complexe que l’image dans sa réalisation. Je ne tiens pas à la voix off didactique, ni aux interviews qui commentent les images ou le travail. Je n’aime pas ce regard du dehors. Plutôt que d’expliquer les choses, je préfère sensibiliser le spectateur pour qu’à la fin du film il ait envie de voir réellement les œuvres.
SP : Vous venez d’évoquer votre intérêt pour le son qui dans ce film occupe effectivement une place prépondérante. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette bande sonore en particulier ?
ND : Le son, par exemple dans la séquence de l’atelier, est un extrait du théâtre sonore intégré tel quel, sans retouches, ni ajustement. Parfois le son colle à l’image, parfois il est décalé. C’est ce rapport image/son qui m’intéresse, comme si dans cet entre-deux un espace se créait pour donner le choix au spectateur soit d’entendre, soit de regarder, ou bien les deux à la fois. J’aime ces différentes possibilités dans le montage. Cela donne un rythme, une musique. Pour « Les sept saisons », j’ai confié la musique au compositeur Olivier Lucaszczyk que j’avais rencontré au festival de Bourges. Je confie toujours la musique de mes films à des compositeurs. Je lui ai proposé de travailler sur les séquences déjà montées, ce qui lui laissait davantage de temps. Ce que je voulais, c’est qu’il travaille comme un peintre, avec différentes couleurs, différentes textures. Je voulais une musique fine comme le tissage d’un tergal Plein Jour (tissus qu’utilise Cécile Bart pour ses peintures-écran) qui laisse passer la lumière.
SP : A chaque prise, on a l’impression que vous adoptez le regard du spectateur (tel que l’analysent les paroles de Catherine Franblin, critique d’art, et celles de l’artiste restituées dans le film). Quelles étaient votre intention et votre « méthode » pour filmer l’oeuvre de C. Bart ?
ND : Oui c’est vrai, je ne fais jamais de repérage, je rentre directement avec la caméra dans l’univers de l’artiste. Je le découvre comme quelqu’un qui entre pour la première fois dans un espace. Et puis je reviens plusieurs fois pendant de longues heures sur les lieux (salles d’exposition ou atelier) pour filmer à nouveau. Chez Cécile Bart, le déplacement du spectateur est primordial. C’est son regard qui va transformer et révéler l’oeuvre. Selon sa position, l’écran devient opaque ou transparent. L’œuvre invite ainsi au déplacement. Il fallait donc alterner les plans en mouvement et les plans fixes pour regarder la lumière et l’ombre pénétrer les tableaux. J’ai choisi l’article de Catherine Franblin dans Art-Press car il est très clair, à la portée de tout le monde et il situe bien le travail de Cécile sur la scène artistique. Citer Art Press, c’était aussi important pour évoquer le rapport artiste / critique qui a toujours existé. Cet article parle aussi de la diffusion, communique sur le travail de l’artiste. Je ne voulais pas que Cécile explique ce qu’elle faisait. Je préférais faire entendre le son de sa voix quand elle répond au téléphone ou quand elle pouffe de rire avec son assistante alors toutes les deux exténuées à la fin du montage d’une exposition, la veille du vernissage. S’attarder sur ces détails « de la vie », c’est atteindre pour moi une certaine intimité qui renseigne sur le personnage Cécile Bart. Je peux ainsi montrer d’une manière assez discrète Cécile en train de travailler dans son atelier à Marsannay ou de déambuler dans son exposition (à Strasbourg). Cette discrétion, c’est tenter de rendre invisible la caméra afin de glaner les détails justes, ceux qui révèlent la sincérité d’une intention.
SP : En tant que plasticienne, comment abordez-vous l’oeuvre des artistes dans vos films sur l’art ?
ND : Comme une œuvre plastique. Je ne cherche surtout pas à faire comprendre le travail de l’artiste. Je me sers de ses références, j’analyse sa démarche, la cohérence dans la construction de son travail. A un moment donné, je ne pense plus Cécile Bart, je m’approprie son œuvre, le temps d’un film. Et même si c’est un film sur l’art, ce qui m’importe, c’est de raconter une histoire. Cette histoire-ci commence avec une voix off, la mienne: D’un automne à l’autre, j’ai visité les différentes expositions de Cécile Bart. Il en est résulté des images puis plus tard un montage que j’ai appelé les sept saisons. Et puis un tableau noir associé au rythme de la musique d’Olivier apparaît sur l’écran, comme les titres de chapitre d’un livre. Avec la voix d’Annie, les étourneaux de Marsannay, le son des couleurs , les ouvertures, le fils de coton, le saut en hauteur. Et à l’avant dernière séquence, je conte l’article de Catherine Franblin comme le ferait la voix off sortie d’un film de Truffaut. Chacun de mes films est différent dans sa manière d’être cadré et d’être monté, car ils sont toujours fidèles au concept de l’œuvre donnée à voir. Donc c’est à chaque fois un nouveau terrain de recherches, un vrai travail in situ.